Necrogolem et autres emmerdements...

Le cadavre d'ogre reposait sur la table mortuaire. Couturé de sutures ciselées de fils d'orichalque qui soudaient les lèvres des plaies en plis multiples, le puzzle de chairs ré-assemblées demeurait immobile. La matrice nécromantique était fin prête à recevoir la force vitale, le fluide qui l'animerait.
La magie des Nécromants utilise cette énergie vitale ou le pouvoir de la mort elle-même. Ce sont des maîtres invocateurs qui envoient des serviteurs mort-vivants contre leurs ennemis. Ils emploient aussi de redoutables malédictions. Leur manipulation de l’énergie des brumes résulte toujours en un contrôle de la force vitale, la volant à une créature pour la transférer au Nécromant ou à ses alliés. Ils sont issus de l'école de la destruction.
La stase, le corps de l'ogre répondait au desideratum du centurion Frilhar, de nombreuses cavités sculptées dans la chair morte et embaumé afin de stopper le processus de putréfaction, attendaient le câblage que tisserait l'ingénieur Mortepluie. Cette histoire de projet ICARE tourmentait Isibrinil depuis qu'il avait été évoqué avec son supérieur, le légionnaire Sombrenuit. Comment empêcher le « zozoteur » au nez fin de la voir venir de loin : elle mesurait plus que jamais le sens de l'expression « entre le marteau et l'enclume ! »
La priorité c'était cette histoire d'ondes cérébrales Alpha qui étaient, par une manipulation pernicieuse, à la source du mal qui contraignait Radjie. Tirer les vers du nez sur ce sujet  à Frilhar, tout en l’empêchant de commettre une erreur irréparable en faisant du necrogolem un réceptacle de son projet ICARE, relevait de la gageure. Souvent elle appréciait Ermhal pour sa finesse et ses manières subtiles de cendreux, rarement elle le maudissait !
Toutefois, la nécromante avait résolu la question de la dangerosité du golem livré aux expériences folles de Mortepluie : elle avait empli ce dernier de suffisamment de force vitale pour qu'il n'y ai plus de place pour la fusion avec une autre source, fut elle téléchargée  (bien qu'elle ignora les connotations scientifiques de ce mot, elle l'avait remplacé par ...remplir!). Le necrogolem était prêt à recevoir du câblage et de l'armement d'ingénierie, mais seule la force vitale le mettrait en mouvement. Elle se stockerait dans les runes gravées à même les os de l'endosquelette et la chair suturée.
En cet instant elle se laissa aller à la nostalgie, vers une époque désormais révolue ou sa comparse de magie noire vérifiait ses travaux, extrapolait des hypothèses qu'elle avait elle même négligées. Servenuit avait un don pour analyser les choses de manière détachées et scientifiques, disséquant d'un regard affûté les moindres détails, contrairement à Isibrinil qui pratiquait une magie intuitive. Elle secoua la tête, songeant à la nécromante décédée qui pour donner la vie, avait livrée la sienne aux faucheurs de Grenths, gardiens des âmes du monde d'en bas. Elle réalisa avec amertume que le sacrifice de Kalla Lamebrûlante était vain. Après avoir été privées de leur place sur le champ de bataille, les femelles charrs n'avaient cessé de s'entraîner en secret, génération après génération, et alors même que la légion de la flamme fut vaincue grâce aux femelles de la nation Charr, les hautes légions continuaient de cantonner les femelles au rang de pondeuses destinées à alimenter les farhars. Une sombre pensée fit doucement jour et s'insinua dans les replis de son esprit, tapie là : « note pour plus tard, si tu te laisse aller aux instincts de la reproduction, n'oublie pas de t'exposer aux radiations orriennes afin d'anéantir toute future grossesse ! ». Les chaînes de la maternité n'entraveraient jamais ses mouvements, encore moins son ascension.

-Au moins, je meurs en sachant que mes sœurs sont libres !...ma pauvre Kalla, tu es morte pour une utopie...et maintenant tu sais que seule la mort est une certitude. Désormais tu erres dans la froideur d'Outremonde, spectre amère et gémissant d'outrages.

Elle prononça la noire litanie tandis que le goulet s'ouvrait sur le monde des âmes en perdition, la première à passer, croyant trouver la liberté fut aspirée dans le réceptacle de Force vitale, la dépouille de l'ogre s'anima doucement, tressailli puis ouvrit les yeux opalescents ou toute vie s'était depuis longtemps éteinte.
La nécromante fit le tour de aberration, vérifiant les sutures, tandis que une à une les runes noires de la nécromancies s’activèrent. Le golem ouvrit la gueule, cherchant l'air pour emplir des poumons qui n'existaient plus, un vieux réflexe d'une vie de mortel accroché à des souvenirs déliquescents devenus...inutiles.

-Âme, quel est ton nom...et matricule ?

La voix rocailleuse, bredouilla, toussa puis tira un grincement des cordes vocales nécrosées :

-Rak Videntraille, Ingénierie du fer, Troupe Ferdebataille !

La nécromante le regarda froidement, sans la moindre émotion, puis annonça d'une voix glaciale :

-Maintenant te voilà l'occasion d'effacer la honte de la défaite, dans cette coquille de non vie ! Ingénieur tu ne l'es plus, ton nom est perdu, gravé sur une stèle au côté de tes frères de troupes ! Tu vas servir ton maître sans hésitation, sans discussion, et si tu échoues...tu retournera hurler avec les âmes damnées entre les griffes des faucheurs de Grenth.

Elle grava la rune de lien dans la chair...l’âme poussa un gémissement tandis que la fusion s’opérait, tandis que les derniers reliquats de sa personnalité s'étiolaient en un gémissement plaintif, pour laisser la place à une créature dépourvu de toute volonté propre...
Le golem serra les poings, observa son corps puis se leva au garde à vous...

-En route...laboratoire de Mortepluie...reste encore à lui vendre le prototype et à le faire causer sur ces ondes alpha...je sens cette journée particulièrement...grise !

Le colossal necrogolem s'ébranla, tel un ogre blafard à la démarche voûtée et mécanique...emboîtant le pas de sa maîtresse.